La naissance de Charles Jean Baptiste Delahaye Le Bouis mérite que l'on s'y arrête. Son acte de décès à Bourges révèle que les déclarants, en particulier Pierre Berthault, frère de Louis, l'ami défunt de Charles, ne connaissaient pas ses ascendants et que Charles lui-même, pris en charge scolairement par les Salomon-Cohen, ne devaient donc pas les avoir transmis à la famille Berthault. C'est un docteur en médecine, M. Alexis Bompare, domicilié à Paris, qui a déclaré le lendemain devant l'Officier de l'Etat Civil de Nogent-sur-Marne, en présence de François Marie Médéric Muzaton, instituteur, que Zaïne Bonneville avait accouché de l'enfant le 24 octobre 1832 à trois heures du matin, devant la maison de M. Augustin Louis Philibert D'Herbez ( Lyon, 1776 - Nogent, 1846) à Nogent, maison dont il en était le propriétaire, lequel a témoigné.

C'était vraisemblablement un ami des Delahaye le Bouis. Ironie du sort : celui-ci, professeur d'art lyrique, que l'on connaissait aussi sous le nom de Saint-Aubin, avait eu avec son épouse Alexandrine Jeanne Lauzay, une petite fille en 1826, Augustine, qui ne devait pas survivre plus d'un an. La mère de Philibert d'Herbez, Jeanne Charlotte Schroeder (1764 - 1850), était alors une des plus admirables actrices de l'Opéra Comique : elle avait entre huit et neuf ans lorsqu'elle se produisit devant Louis XV dans le rôle de la fée Ninette dans l'Opéra d'Acajou. Philibert d'Herbez, fils d'un graveur lyonnais en taille douce devenu acteur, Augustin Alexandre d'Herbez dit Saint-Aubin (1754 - 1818), et de la célèbre actrice qu'il épousa, avait également deux soeurs, Marie Augustine dite Cécile, et Alexandrine, qui jouèrent également dans l'Opéra Comique. Bref, par rapport au milieu familial havrais et parisien, la naissance, arrangée ou accidentelle quant au lieu et aux circonstances, en tout cas survenue dans une famille d'accueil artistique hors des murs de Paris, discrète, qui ne devait pas être sue, avait ainsi été soigneusement "éloignée".

Le choix de Charles comme prénom n'est sans doute pas non plus le fruit du hasard. La Revue d'Histoire des Colonies nous rapporte, dans son volume 39 de 1951, p. 288, qu'un sieur Charles Delahaye, à qui fut accordée en 1767, par M. de Pouançais, Gouverneur du Roi de la Côte de Saint-Domingue et de l'Île de la Tortue, la concession d'une place à l'Acul du Petit-Goave datant de 1677, près de Nippes (suivant Me Beaulieu, notaire à Nippes), fut à l'origine des exploitations antillaises des Delahaye en cannnerie, cotonnerie et indigoterie.

Les parents, Jean-Baptiste Delahaye le Bouis, ex-armateur et consul de sa Majesté Impériale, et son épouse Zaïne Bonneville, épousée sur le tard à Paris le 16 juin 1828, d'une vingtaine d'années plus jeune que lui, lui déjà âgé et peu disponible, provenant du Havre, et elle, de par sa famille, parisienne depuis 1815 en passant par la Belgique mais native de Sens (Yonne), habitaient alors, au moment de la naissance, près de la rue de Rivoli, en la rue Bourtibourg, à Paris, actuellement dans le 4ième arrondissement (nom de rue agglutiné de Petit Bourg ou du Bourg Thibourg, anciennement le Bourg Thibault), sans doute un logement de circonstance. Le lieu de naissance explique l'embarras du couple ainsi confronté à une naissance tardive dans une période troublée, non attendue ou désirée, sans doute compromettante pour des questions d'héritage, celles-ci, jusque là en l'absence de descendance, ayant été réglées en 1831...

L'enfant tardif et mal venu fut de toute façon, vue la défection des parents, lui décédé prématurément et elle remariée peu après, placé vers 1848 par Alphonse Bonneville, son oncle et tuteur, à la Ferme-Ecole des Salomon-Cohen, Louis Rousseau gérant par ailleurs un asile agricole à Drazilly, sur Montaron (Nièvre). Son père lui avait ainsi légué à sa mort ce qui lui restait de sa fortune en échange du domaine cauchois (la dite "Terre des Colombiers" à Saint Jean-de-la-Neuville, Seine-Inférieure) cédé en 1831 à la famille Dutour, alliée aux Delahaye Le Bouis par Françoise Victoire, sa soeur, épouse d'Alexandre Dutour. Une fois majeur en 1853 et ainsi formé par l'école agricole de Poussery, Charles, qui, revenu de sa formation, résidait alors au 55 de la rue de Provence à Paris, put ainsi, assisté de son oncle et ancien tuteur Alphonse Bonneville, acquérir en 1854 le domaine de Germigny qui sera ainsi géré dès 1855 par son ami Louis Berthault, également formé à l'école de Poussery. Jean-Baptiste Joseph, dit le jeune, père de Charles, de qui vient l'essentiel de la documentation sur la famille Delahaye, avait survécu, grâce à des créances en partie payées et à une rente due par son oncle Begouën, à l'effondrement de l'activité maritime négrière, notamment après les premières guerres impériales.

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